TEXTES DU GRM1 (outil crayon)


TEXTE DE M. GALAND SUR LE  MODE DE  PRODUCTION  DOMESTIQUE :  ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE (résumé)


I : Une définition anthropologique
II : Un modèle utilisé pour interpréter des données archéologiques
Le mode de production domestique selon Marshall SAHLINS :
-       Famille minimum (un homme et une femme), unité de production et de consommation
-       Division sexuelle du travail
-       Production auto-limitée aux besoins de l’unité domestique
-       Place et rôles de l’échange très restreints
-       Outils fabriqués et utilisés individuellement
-       Droit sur les choses s’exerçant à travers un droit sur les personnes

La définition peut s’appliquer à des sociétés de chasseurs-cueilleurs comme à des sociétés d’agriculteurs et d’éleveurs.

Le mode de production domestique selon Claude MEILLASSOUX
_ Défini par le niveau historique des forces productives :
agriculture susceptible de dégager un surplus (réserve de céréales) pouvant satisfaire les besoins alimentaires, la répétition du cycle agricole, la reproduction de la communauté
-       Ensemble de communautés domestiques organisées pour la production économique et sociale et la reproduction du rapport de production spécifiquement domestique
-       Utilisation de la terre comme moyen de travail, rendue productive à terme par un investissement en énergie
-       Energie  humaine comme source énergétique dominante dans le travail domestique et artisanal (pas de production collective)
-       Moyens de production agricole individuels, produits individuellement
-       Les points de convergence SAHLINS-MEILLASSOUX :
-       Libre accès à la terre, par l’intermédiaire de l’appartenance à une communauté qui la distribue
-       La force humaine comme principale source d’énergie
-       La simplicité des outils, n’exigeant pour leur fabrication qu’un travail individuel, et permettant un usage individuel

-       Répartition du travail ne reposant que sur les distinctions de sexe et d’âge

-       Large autonomie des communautés domestiques, les échanges ne jouant qu’un rôle subsidiaire

-       Coopération, au sein d’entités plus larges, entre communautés domestiques placées sur un pied d’égalité
-       Les rapports de parenté ne jouent pas de rôle dans la définition des rapports de production
-       Les points de divergence SAHLINS/MEILLASSOUX :
-       Niveau requis des forces productives : chasseurs-cueilleurs ou agriculteurs chez Sahlins, agriculteurs seulement chez Meillassoux
-       Relations entre communautés domestiques et structures de parenté : pour Meillassoux, les « structures alimentaires de la parenté » découlent des besoins de reproduction de la communauté domestique, par la gestion de la fécondité des femmes ; pour Sahlins, les systèmes de parenté peuvent contraindre les communautés domestiques à augmenter leur production au delà du nécessaire à leur auto-subsistance, pour former un surplus
-       Meillassoux développe davantage que Sahlins le rôle du MPD dans la reproduction de la communauté (gestion de la fécondité des femmes)
-       Divergences apprents sur les dynamiques internes au MPD, et sur les facteurs de dissolution de celui-ci : voir conclusion de la première partie
-       Conclusion de la première partie : les dynamiques à l’œuvre : évolution et dissolution du MPD
-       Meillassoux : accroissement du pouvoir des « aînés » dans la gestion des réserves céréalières et dans la gestion à long terme des échanges des alliances, des échanges de femmes entre communautés domestiques. Des aînés, le pouvoir passe aux ancêtres, aux lignages aînés, avec un recours croissant à l’idéologie,
-       assurant ainsi à un individu ou à un lignage sur un nombre de plus en plus important de communautés domestiques ; ce processus peut conduire à terme à des royautés. Mais cette tendance est contrariée par la possibilité de « scission », la capacité d’une ou plusieurs communautés de s’affranchir de ce pouvoir et de fonder une nouvelle société. De sorte que le MPD est assez stable tant qu’il n’est pas confronté à des empires coloniaux.
-       Sahlins : plutôt qu’une mise en évidence de dynamiques internes, description de plusieurs types société où les structures de parenté, ou les systèmes politiques qui en découlent, contraignent les communautés domestiques à produire plus que ce qui est nécessaire à leur subsistance, et donc à produire un surplus, utilisé à des fins de solidarité entre communautés inégalement pourvues, ou accaparé ou géré par des groupes ou des individus à des fins de prestige ou de pouvoir. Il montre aussi que certaines de ces sociétés, suite par exemple à des conditions climatiques défavorables, peuvent mettre à mal ces structures hiérarchisées ou solidaires et retourner au « chacun pour soi ».


Synthèse :
Existence de forces « centripètes » plus ou moins neutralisées par des forces « centrifuges » : d’où :
-       équilibre durable, ou
-       formation de sociétés hiérarchisées, avec
-       des possibilités de retours en arrière partiels
-       Le mode de production domestique en Anatolie au VIIIème millénaire :
-       Catal Höyük selon Ian Hodder :
-       agglomération dense, de plusieurs milliers d’habitants, stable pendant un millénaire, sans que cette agglomération puisse s’expliquer par des motifs topographiques ou écologiques
-       constituée de « maisons » (houses, household), correspondant à une unité domestique, bien individualisées, obéissant à des principes d’organisation communs, présentant peu de signes de différenciation sociale, et une spécialisation artisanale très réduite, quoique croissante dans le temps
-       pas de bâtiment à vocation collective, pas de sanctuaire ni de palais
-       l’aménagement interne des maisons, qui se retrouve partout, semble polarisé entre une moitié « sale », au sud, avec les activités domestiques et artisanales, autour du four et du foyer, et une moitié « noble », au nord, où se concentrent les peintures murales, les « installations » en relief, les inhumations (burial)d’adultes. Cette polarisation est soulignée par des différences de niveaux dans les sols de la pièce centrale.
-       Les « maisons », qui sont rebâties les une sur les autres au fil des générations, avec des plans qui restent grossièrement similaires, constituent un « lieu de mémoire » du lignage (ancestry).
-       Les représentations symboliques, notamment les peintures murales, semblent liées à la chasse de bovinés (cattle) sauvages, à leur consommation collective et festive, qui conféraient un prestige à son protagoniste
-       Il existe une « tension » entre le souci d’autonomie des unités domestiques, et les règles régissant la vie de la « ville » (« town »), qui en assurent la bonne marche et la pérennité. C’est cette tension qui constitue le moteur de l’évolution de la « ville ».
-       L’invention de l’histoire , la détention par les « anciens » de la mémoire des évènements, des alliances et des contrats passés, leur a assuré un rôle prépondérant dans la direction des communautés domestiques
-       Les grandes lignes des évolutions des sociétés néolithiques (et pré-néolithiques) en Asie du sud-ouest selon Hodder

Pour Hodder, les évolutions historiques sont « un lent mouvement de masse » : les relations  des hommes entre eux étant étroitement imbriquées (entangled) avec celles des hommes avec les choses, des changements minuscules accumulés finissent par entrainer des évolutions majeures.
  Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les relations des hommes entre  eux et avec la nature sont à court-terme. Dans les sociétés d’agriculteurs, les hommes s’engagent dans des relations à long terme, et façonnent une société, et, ce-faisant, ils prennent conscience de leur capacité à agir et de leur individualité (agency)

   Dans les sites néolithiques anatoliens antérieurs  à çatal höyük, aux IXème et VIIIème millénaires, il y a des bâtiments collectifs cérémoniels développés, alors que les habitats sont peu élaborés.

A çatal höyük, les bâtiments cérémoniels collectifs sont absents, la vie symbolique se retrouve dans la polarisation des maisons.

A la fin de la période d’occupation néolithique de çatal höyük, l’iconographie, d’ »immobilière »(peintures murales, « installations », etc…) devient « mobilière » (céramique, sceaux ayant pu sévir à imprimer des tissus…). Les différenciations entre maisons deviennent plus marquées . Cette évolution s’accentue sur la « butte ouest », chalcolithque. Le centre d’intérêt de la pièce principale, de la représentation de la séquence chasse-prouesse-festin-prestige, ou du lien avec les ancêtres, se déplace vers la production domestique. De même, les procédés de construction (briques crues), évoluent de manière à être à la portée d’un individu.

Discussion :
Les « anomalies » de çatal höyük dans la vision de Ian Hodder :
-       peu de différenciation sociale
-       pas de guère, pas d’Etat
-       presque pas de différence entre les genres, sauf peut-être en fin de période

-       Discussion :
-       Les évolutions différentes des sociétés néolithiques
-       Pas de parallélisme entre les évolutions des sociétés néolithiques d’Asie du sud-ouest  et les sociétés néolithiques d’Europe occidentale
-       Stabilité relative du mode de production domestique et apparition de l’Etat :
-       Le cas de l’Egypte pré-dynastique selon Béatrix  MIDANT-REYNES :

En Basse-Egypte, où une agriculture prospère a pu se développer précocement, le mode de production domestique, avec son absence de différenciation sociale marquée, a pu se maintenir sur une longue période.
En Haute-Egypte, plus marquée par l »adaptation nilotique », le mode de vie, plus proche de celui des chasseurs-cueilleurs, a été plus favorable à l’émergence d’élites, marquées par les phénomènes d’accumulation et d’ostentation. Leur concurrence a donné lieu à l’émergence de la monarchie qui allait unifier l’Egypte.

La communauté domestique à l’âge du Fer : Hésiode
En Grèce au VIIème siècle, la communauté domestique, dirigée par le chef de famille, reste (ou redevient) l’unité de consommation, de production, de reproduction.
L’acquisition privée de la terre ,pas encore généralisée, est en cours.
La constitution de réserves de céréales permettant de survivre à la mauvaise saison est cruciale.
Les outils restent fabriqués au sein de la communauté domestique, même si des forgerons sont utiles.
Les échanges entre communautés domestiques, de même que l’entr’aide, n’occupent qu’une place subsidiaire.
La main d’œuvre « naturelle », le fils (unique de préférence), est complétée par une paire de bœufs, qulques ouvriers ou ouvrières de statut servile, ou, peut-être, salarié, pour certains
La communauté territoriale, le village, est plus présent que le réseau de parenté
Les rois « mangeurs de présents » semblent ne jouer qu’un rôle d’arbitre des conflits privés.
Conclusion générale…et discussion

-       Validité du modèle du « Mode de production domestique » pour décrire de nombreuses sociétés agricole « pré-historiques »
Validité de l’étude de ses dynamiques internes, et d’éventuels déséquilibres, pour expliquer certaines évolutions « historiques » ultérieures.


Texte de X. GUTHERZ : Communication sur les ECONOMIES A RENDEMENT DIFFÉRÉS

Afin de contribuer  aux réflexions et échanges d’idées que Luc Jallot se propose de faire émerger à travers ces groupes de réflexion modestes, je reviendrai ici sur une thématique que j’ai déjà abordée en 2011 à l’occasion de l’ouverture d’un séminaire de master sur le Néolithique de l’Afrique.  Cela ne va pas m’entraîner à dresser un tableau exhaustif de l’état des connaissances sur le Néolithique du continent africain. Un tel bilan ne peut résulter que d’un important travail collectif réunissant des compétences très diverses : Il s’agit en effet de raisonner sur un très vaste espace géographique (30 millions de km2 soit 6% de la surface terrestre et 20,3 % de la surface des terres émergées. Contra l’Europe 10,5milllions de km2)). Il s’agit aussi de raisonner sur un espace géographique présentant d’importants contrastes. Chevauchant l’Equateur, l’Afrique englobe de nombreux climats : tempérés au nord et au sud, chauds et désertiques le long des tropiques, chaud et humide sur l’équateur.  L’Afrique pays des déserts : Sahara et son pendant au sud, le Kalahari. L’existence de ces vastes étendues hyper-arides  a bien entendu été et est toujours déterminante pour comprendre le passé et le présent de l’Afrique: Le Sahara a connu et peut encore connaître des épisodes plus ou moins humides pour peu que les conditions météorologiques changent. Actuellement,  de part et d’autre du Tropique du Cancer le climat est tributaire d’un échange d’air chaud et d’air frais qui a lieu entre la mer Rouge surchauffée et la zone fraiche des Açores. Le front froid polaire hivernal et les vents d’été de la mousson tropicale sont de ce fait bloqués à des latitudes qui privent de pluie le Sahara et ses marges sahéliennes.
C’est  un phénomène qui a connu des fluctuations et en particulier celle que l’on admet comme déterminante pour l’émergence du Néolithique, l’optimum climatique qui s’amorce vers 8000 BP.
On a souvent galvaudé pour ce qui est  de l’émergence du Néolithique au Proche-Orient l’idée que la mise en place de l’optimum climatique avait été à l’origine des innovations. De fait, même si d’autres facteurs, « idéologiques » en particulier, peuvent être des moteurs du changement, la part du déterminisme climatique et biogéographique ne peut être évacuée. En Afrique, ce paramètre est omniprésent et même au centre de notre approche de l’histoire de ce continent depuis la fin du Pleistocène, autant d’un point de vue global et diachronique qu’un d’un point de vue régional et synchronique. Il n’est qu’à évoquer les contrastes bioclimatiques saisissants qui existent dans les paysages de la Corne de l’Afrique, du désert Danakil aux hauts plateaux éthiopiens pour en comprendre l’inévitable influence sur les comportements humains.

Le deuxième point que je voudrais évoquer est celui de l’inadaptation ou de la faible utilité des canevas chrono-culturels  qui sous-tendent depuis toujours la recherche en Pré et Protohistoire, le système européen d’abord (Paléolithique, Mésolithique, Néolithique avec leurs subdivisions internes) adopté par les préhistoriens travaillant en Afrique francophone mais aussi paradoxalement le canevas qu’a introduit la recherche anglo-saxonne dans les années 30 en Afrique anglophone pour rythmer l’évolution des cultures africaines de la Préhistoire ancienne  à nos jours (Earlier Stone Age, Middle Stone Age, Later Stone Ag,e  termes introduits non pas par Clark qui les reprit en 1954 dans son ouvrage sur la Corne de l’Afrique puis en 1959 dans celui sur la Préhistoire du sud de l’Afrique mais en 1929 par Godwin et Van Riet Lowe pour l’Afrique australe.).
Si l’on prend le cas du Later Stone Age, outre le flou qui règne sur les modalités de son émergence à la fin du Middle Stone Age, vers 30 000 à 20 000 BP,  le maniement de ce concept est des plus mal aisés dès lors qu’il s’agit d’en faire émerger, en fin de parcours, un « Néolithique », mais quel Néolithique ? Celui qui serait repéré à partir d’un renouveau technologique des industries, mais, de l’Afrique australe à la Corne de l’Afrique, par exemple, la forte inertie des complexes à segments qui se prolonge jusqu’aux temps historiques, ne facilite pas la reconnaissance d’industries spécifiquement liées à des activités agricoles. En Ethiopie, des auteurs comme Brandt, ont cependant avancé l’idée que l’augmentation du nombre des grattoirs dans les industries holocènes pouvait être liée à l’émergence de l’élevage bovin et donc au travail de tannerie.  
Le Néolithique serait alors repéré à partir de la transition économique des chasseurs-cueilleurs aux premiers éleveurs (présence de bétail domestique). Mais la présence de quelques têtes de bétail a-t-elle pour autant entraîné des changements radicaux dans une économie « mésolithique » dont on peut penser  qu’elle était déjà en mesure d’exploiter préférentiellement telle ou telle ressource végétale ou animale et à en gérer les produits sur le long terme ?
Plus on avance dans les connaissances, et dieu sait que sur le continent africain, le retard documentaire est des plus importants, plus on se trouve dans l’obligation de s’éloigner de plus en plus des modèles d’émergence du Néolithique tels qu’ils ont été définis pour le Proche-Orient d’une part, pour l’Europe occidentale d’autre part.
Il faudrait un volumineux recueil pour décliner toutes les formes d’exploitation préférentielles de ressource naturelles végétales ou animales adoptées par ces sociétés africaines de l’Holocène inférieur qualifiées de sociétés de chasseurs-cueilleurs ou collecteurs :
  - Pratique de la pêche de façon intensive dans les bassins lacustres et mise en place de chaines opératoires de transformation et de conservation du poisson, et à voir ces mêmes sociétés adopter très tôt la céramique (au 10e millénaire avant notre ère) sans pour autant avoir domestiqué des plantes comestibles, on a pu penser (Sutton par exemple) que l’invention africaine de la poterie fut favorisée par les besoins de stockage et de transformation des produits de la pêche. On a pensé la même chose pour la culture Jomon du Japon.

-Collecte et stockage systématique de graminées, de plantes à tubercules et de fruits spontanés .
Présence du matériel de broyage (meules dormantes et broyons) dès 17000 BP en Egypte, présence de la poterie  dès 10000 BP dans la zone saharo-sahélienne.
Tout ceci nous conduit à repenser nos modèles de néolithisation. 
C’est là qu’il convient de faire intervenir un concept qui devrait se substituer à celui « d’économie de production » trop connoté par le paradigme élevage/agriculture, je veux parler du concept « d’économie à rendement différé » qui nous amène sans doute beaucoup plus prés de la réalité du contexte africain du LSA . Une économie à rendement différé, terme qui s’oppose à celui d’économie à rendement immédiat (chasse, cueillette itinérante) n’est pas en effet l’apanage du Néolithique au sens d’économie de production fondée sur l’agriculture et l’élevage.
Elle peut être basée sur l’abondance localisée de ressources naturelles (végétales et animales) exploitées de telle façon que d’une part, une première forme de sédentarité est possible, d’autre part  elle permet le stockage et la gestion prévisionnelle de la consommation alimentaire.

L’apparition de l’agriculture, on le constate de jour en jour, est en fin de compte le dernier avatar des sociétés néolithiques africaines. Dans toutes les régions où des données fiables sont disponibles on observe un écart d’au minimum un millénaire entre les premiers indices d’élevage et les premiers indices de domestication des plantes.
Il est temps de nuancer fortement nos idées reçues, idées issues il faut bien le reconnaître de l’héritage idéologique du XIXe siècle, exacerbé par les conquêtes coloniales.  Le continent africain n’a pas été en tous points tributaires des apports culturels externes. Comme l’a souligné récemment Eric Huysecom « il est clair qu’il existe une dynamique créative africaine » et cette dynamique est notamment visible avec la mise en évidence de la domestication des bovinés dans le courant du 9e millénaire et l’invention de la céramique au 10e millénaire.
Tant que nous chercherons en projetant nos vieux modèles à découvrir des sociétés sédentaires dont l’économie est fondée sur un système de production de biens vivriers, nous risquons de chercher longtemps encore en Afrique les cultures « néolithiques ».
D’une part, les données sont encore largement insuffisantes faute de fouilles significatives , d’autre part, n’oublions pas non plus qu’une bonne partie du continent africain livre difficilement les éléments traces, c’est-à-dire les restes organiques indiquant la pratique de l’agriculture ou de l’élevage, en raison de l’acidité des sols ferrugineux.
Mais surtout, nous devons accepter en Afrique de redéfinir le Néolithique autrement que nous l’avons fait jusqu’à présent. Pour cela suivons les propositions d’Eric Huysecom :

- Par exemple le seul fait de produire et d’utiliser de la céramique a des implications sociales (maîtrise et transformation des éléments constitutifs de la poterie, division du travail, spécialisation et complexification des savoirs) et cette pratique est peu compatible avec la mobilité constante qui caractérise les société de chasseurs-cueilleurs.
- D’autre part, la cueillette sélective et intensive de certains végétaux spontanés comestibles relève d’une économie à rendement différé qui peut constituer une source alimentaire importante et durable. D’ailleurs, elle peut s’accompagner pour la préparation alimentaire d’un usage de la céramique. On pourrait donc, à ce stade de l’évolution des sociétés, considérer que bien des sociétés du later stone age africain pratiquent une économie « proto-agricole »
-Enfin, on a vu que les paramètres constitutifs du Néolithique, selon le modèle classique, n’apparaissaient pas en Afrique simultanément. Ceci n’empêche pas qu’ils ont pu à un moment ou à un autre exister en même temps mais au sein de plusieurs groupes contemporains. C’est par le processus d’échange que l’on obtient alors ce qui peut manquer et ce mode de subsistance a été et est encore observable en Afrique : par exemple l’échange que pratiquent les éleveurs nomades de la Corne de l’Afrique avec les agriculteurs sédentaires du plateau éthiopien : sel ou bétail contre céréales.



REFLEXIONS PROPOSÉES PAR MARC GALAND


ECONOMIES A RENDEMENT DIFFERE, ECONOMIES DE PRODUCTION :
QUELLES DIFFERENCES ?

Toute économie de production est une économie à rendement différé : les
céréales produisent les semences qui permettront de réinitialiser un nouveau
cycle de production, les femelles mettent bas…la vie continue.
Une économie à rendement différé n’est pas forcément une économie de
production : on peut stocker de la viande ou du poisson séchés et salés, on
ne les sèmera pas.
QU’EST-CE QUE CELA CHANGE ?
1/ Au niveau des structures sociales :
_______________________
Ce qui fonde la légitimité du pouvoir des aînés (dans le mode de production domestique), ce n’est pas leurs exploits en tant que chasseurs ou guerriers (ça, c’est pour les jeunes), c’est leur rôle d’initiateur du cycle de production (ils sont les créanciers et les gérants de la communauté domestique), et d’organisateurs de la reproduction du groupe.
2/ Les économies à rendement différé sans production (ce qui ne veut pas dire sans gestion des ressources) sont liées géographiquement à leur niche écologique.
____________________________
D’où : - mobilité réduite
0. possibilité de surpopulation, d’épuisement des ressources
0. pas de grande expansion territoriale possible.
Les économies de production, tant qu’elles ne se heurtent pas à des barrières climatiques infranchissables pour les espèces qu’elles véhiculent, peuvent s‘exporter sur des milliers de kilomètres (par exemple de l’Asie du sud-ouest à l’Europe du nord-ouest). Ce qui est vraisemblablement à l’origine de leurs succès historique….jusqu’à ce qu’elles se heurtent aux limites de la planète !
II/ ECONOMIES A RENDEMENT DIFFERE et ECONOMIES « DE PREDATION » : QUELLES DIFFERENCES ?

Au sein des sociétés dites « de prédation », un des critères de différenciation est bien celui du nomadisme ou de la sédentarité. Une société nomade ne peut s’encombrer de richesses, de réserves trop lourdes ou volumineuses (ni d’ailleurs de bouches à nourrir inutiles). Si elle constitue des réserves, elle choisira des contenants légers - et donc ne laissant pas de trace archéologique (il semblerait que l’on puisse transporter des liquides, comme du lait, dans des récipients en vannerie). La fabrication de récipients en céramique, sans interdire toute migration, les limite quand même. Les Jomon ont fabriqué de la céramique, sans agriculture ni élevage, parce qu’ils n’avaient pas à migrer pour suivre leurs ressources alimentaires. (Peuton appliquer cet exemple à l’invention également isolée de récipients en céramique dans l’Aïr, vers – 8000 ?).
Au sein des économies « de prédation », on pourrait peut-être dire que les économies « à rendement différé » se distinguent par une tendance à la sédentarisation, même partielle, où le nomadisme se réduit à des déplacements saisonniers dans une zone limitée, autour de quelques points fixes où peuvent être stockées des réserves.

COMMENTAIRE  DE M. GALAND DU 2 JUIN 2012 : A Khirokitia, qu’est-ce qui fait penser au mode de production domestique ?


GRM « MODE DE PRODUCTION DOMESTIQUE «

Synthèse de mon exposé du 9 mai 2012 sur Khirokitia (Chypre, néolithique précéramique, VIIème millénaire).
Marc Galand

A Khirokitia, qu’est-ce qui fait penser au mode de production domestique ?

Sources : I : LE BRUN  Alain : Khirokitia, village néolithique de Chypre ,in GUILAINE J. directeur, Communautés villageoises du Proche-Orient à l’Atlantique, 2001
II : ASTRUC Laurence, BRIOIS François : Chypre au néolithique précéramique, approches du territoire, in : Dir. KOURTESSI-PHILIPPAKIS Georgia , TREUIL René, Archéologie du territoire, de l’Egée au Sahara, 2011, Publications de la Sorbonne.

A : Les traits qui appartiennent à la définition du MPD :
1° existence d’unités domestiques polyvalentes et auto-suffisantes :
« « Aucun de ces éléments (de plan circulaire) ne constitue en soi une unité autonome, au contraire, chacun d’eux, avec ses aménagements variés, constitue autant de fragments d’un espace domestique plus vaste : la maison.(…)La formule idéale de la maison néolithique chypriote peut don se définir comme le regroupement de plusieurs de ces fragments autour d’un espace non couvert, sorte de petite cour intérieure où se trouve une installation de meunerie.
L’espace domestique total ainsi constitué, suffisamment grand alors pour abriter une famille dont le type st sujet à débat, est le lieu d’activités qui sont spatialement définies… »(I, p 59)
« Fonctions, fonctionnement interne et rythme d’occupation de l’unité domestique sont marqués, à Khirokitia, par une grande homogénéité et une forte stabilité dans le temps. La maison est avant tout une unité de consommation : des produits finis de tout genre y sont fréquemment introduits. A l’intérieur, comme à l’extérieur des constructions les activités artisanales sont réduites et limitées  à des travaux de faible ampleur sur des matériaux extrêmement divers puisque sont représentés des petits travaux de boucherie, de traitement de peaux, de fabrication de petits objets en bois, en os et bois de daim ou encore sur pierre tendre. Ainsi nulle complémentarité fonctionnelle n’apparaît d’une maison à une autre «  (II, p. 88)

2° la simplicité des outils dans un matériau abondant sur place et de travail facile :
« L’exploitation des ressources minérales se fait à Khirokitia presqu’exclusivement à l’échelle locale. Ces ressources variées sont utilisées pour l’architecture et pour la production d’un mobilier en pierre extrêmement riche : vaisselle, parure, galets gravés, outils de mouture, broyage et concassage, etc…
Les habitants de Khirokitia…produisent une industrie lithique à moindre coût, représentant un investissement en temps et en savoir-faire bien inférieur à celui demandé par les industries des phases anciennes et moyennes de Shillourokambos »
(II, p 87)

3°l’absence de différenciation marquée de statut social entre les différentes unités domestiques, alors que l’on constate des différences de « style », ou de structure de la consommation, entre les différentes unités.

4°l’absence de structure architecturale élitaire ;
le rempart, même s’il implique une mobilisation de plusieurs, même peut-être de l’ensemble des unités domestiques, n’est pas dédié à l’une d’entre elle en particulier.
5° l’existence d’aires de rassemblement, de lieux vides de toute construction, mais au sol savamment aplani

B : Les traits qui  paraissent des corollaires de la définition du MPD :
1°La taille « modeste «  du village : de 300 à 600 habitants ; beaucoup moins que çatal höyük, mais plus qu’un village danubien ou fontfuxien ; la taille du village est compatible avec la gestion d’une assemblée de quelques dizaines de « chefs de famille », d’ »anciens ».
2°la stabilité de l’ implantation,sur cinq siècles environ, jusqu’à la disparition inexpliquée de toute cette civilisation sur l ‘ensemble du territoire de Chypre
3°le tout dans un climat plutôt pacifique : malgré l’existence du rempart, pas de trace de destruction violente, pas de crâne fracassé, peu de restes d’armes de guerre…


C : Les traits dont la compatibilité avec le MPD est à discuter :
1°Une certaine spécialisation des activités par « quartiers » (exploitation du bois par exemple)
2° Une spécialisation qui semble « héréditaire » pour des activités comme la taille d’objets « de luxe » en diabase, qui nécessite un savoir-faire plus important que la confection des outils quotidiens en matériau courant ; des traces de cette activité (poudre de diabase) se retrouvent sur différents niveaux archéologiques sur le site de même unité domestique (mais ce n’est pas une spécialisation à temps plein ,puisque les mêmes activités domestiques qu’ailleurs s’y retrouvent aussi)(II, p.89)
3°des échanges à longue distance (avec le massif du Troodos pour la picrolite, avec le continent pour la cornaline et l’obsidienne).


D : Les traits qui semblent incompatibles avec le MPD :
« Mobilisation de main d’œuvre (pour les remparts) qui sous-entend l’existence d’un pouvoir, c’est-à-dire d’un individu ou d’un groupe d’individus auquel est reconnue une certaine autorité et, selon toute probabilité, jouissant d’un statut différent de celui des autres membres de la communauté, tout comme la sous-entend également la construction simultanée de l’enceinte du village et des habitations qui le composent, réalisation immédiate et concertée d’une conception globale de l’espace bâti. »(I, p.60)